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Noémie A. Pichon, alors étudiante en doctorat dans le groupe d’Eric Allan, parle de son récent article « La décomposition démêlée : un test des multiples mécanismes par lesquels l’enrichissement en azote modifie la décomposition de la litière », le contexte de cet article et les futures directions de ce champ de recherche.

Quel est le contexte de votre étude ?
Les expériences testant l’effet de la biodiversité sur le fonctionnement des écosystèmes ont manipulé séparément plusieurs facteurs environnementaux (diversité des plantes, enrichissement en azote), ou ont testé l’ensemble de leurs effets sur des assemblages naturels de communautés (effets directs et indirects de l’intensification de l’utilisation des sols). Puisque les différents facteurs sont corrélés, comme la diversité spécifique et la composition fonctionnelle des plantes, il est difficile d’estimer l’importance relative de leurs effets sur le fonctionnement de l’écosystème. Avec l’expérience de PaNDiv, notre but était de tester, pour différentes fonctions de l’écosystème, l’importance relative de ces effets corrélés : enrichissement en azote, diversité spécifique végétale et composition fonctionnelle végétale. Ce premier article se concentre sur la décomposition de la litière, ce qui nous a permis de démêler les effets de ces facteurs encore plus en avant, en distinguant les effets dus au changement de la qualité de la litière (vitesse de décomposition du matériel végétal), ou dus au changement de la qualité du sol (conditions biotiques et abiotiques). Nous avons ainsi pu répondre à la question : « Quelle est l’importance relative de l’enrichissement en azote, de la diversité spécifique et de la composition fonctionnelle végétale sur le mécanisme de décomposition, du fait d’un changement de la qualité du sol ou de la qualité de la litière ? ».
Quelle est l’information clé à retenir de votre article ?
A mon avis, ce qu’il faut retenir de cet article, et plus généralement de l’expérience de PaNDiv, est que l’importance des effets directs de l’azote est comparable à l’importance des effets indirects. Lors d’un enrichissement en azote, la richesse spécifique des plantes décroit, et les communautés de plantes passent d’une composition fonctionnelle lente à rapide. Si l’on se concentre sur les effets directs de l’azote et que l’on omet les effets de la perte de diversité ou du changement de composition, une importante part de l’information est perdue. Dans notre article, les résultats montrent que l’enrichissement en azote accélère la décomposition, principalement en changeant la composition fonctionnelle végétale vers une communauté de plantes à croissance rapide produisant une litière de plus grande qualité : hautes concentrations en azote et en calcium, taux faible de fibres et de matière sèche des feuilles (leaf dry matter content, LDMC). Un autre point clé est que nous avons pu quantifier l’importance relative de la qualité du sol et de la litière grâce à une approche relativement simple utilisant plusieurs types de sacs de litières et un model d’équation structurel (SEM). Avec cette approche, de futures études pourraient estimer l’importance des facteurs influençant la décomposition dans des écosystèmes différents et dans des conditions environnementales différentes.

Quelle sera la prochaine étape dans ce domaine de recherche ?
Avec l’expérience de PaNDiv, nous avons seulement commencé à comprendre comment l’azote, directement et indirectement, modifie le fonctionnement d’un écosystème. Nous n’avons pas encore entièrement compris ce qu’il se passe dans le sol, et comment les communautés du sol amplifient ou atténuent les effets des changements globaux sur le fonctionnement des écosystèmes. Mais pour étudier le sol, nous devrons travailler à une échelle expérimentale plus réduite. Du moins, c’est ce que j’aimerais étudier dans le futur.
Avez-vous rencontré des problèmes lors de la mise en place de l’expérience ou de la collection des données ?
Notre expérience consiste en 336 parcelles de 2x2m séparées par chemin de 1m. Nous étions deux doctorantes travaillant sur le projet, Seraina Cappelli et moi-même, et nous avons mis en place l’expérience nous-mêmes. Je ne suis toujours pas sûre de pouvoir expliquer comment nous avons réussi à faire tourner une expérience de cette taille. Bien sûr, il y a beaucoup de choses qui n’ont pas marché comme prévu, mais avoir des collègues exceptionnels transforme un travail ardu en moments simples et joyeux. J’en ai eu la preuve pendant le travail de terrain, surtout les sessions de désherbage, lorsque nous avons dû encadrer des équipes d’assistants pour désherber à la main les communautés de plantes, afin de maintenir les différents niveaux de diversité et la composition des espèces. J’ai atteint des niveaux inattendus de maîtrise de moi-même en dirigeant des équipes de 15 personnes pendant deux semaines, dans des conditions météo parfois difficiles.
Quelle est votre poste actuel ?
J’ai défendu ma thèse fin Janvier 2020 sur le thème « Effets directs et indirects de l’azote sur le fonctionnement de l’écosystème ». Cet article est le premier chapitre de ma thèse à être publié, ma collègue Seraina Cappelli va aussi publier son premier article. Je suis très heureuse de voir le résultat de notre travail dans les revues scientifiques. Nous nous concentrons toutes deux sur les prochaines publications pour le moment avant de commencer un post-doc.

Quel est le meilleur aspect du métier d’écologue ?
La diversité. Afin de réaliser l’expérience décrite dans cet article, j’ai appris à me servir d’une machine à coudre, j’ai pratiqué et amélioré mes compétences diplomatiques avec les fermiers autour du champ expérimental, j’ai développé des compétences de gestion d’équipes en travaillant avec un grand nombre de personnes à la fois, j’ai appris la détermination des plantes, les modèles d’équation structurelles, et les langues locales suisses.
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