Camille Bernery & Clara Marino : Explorer le profil des poissons envahissants pour mieux comprendre leur dynamique

Dans cet article, Camille Bernery et Clara Marino, respectivement post-doctorante et doctorante au laboratoire Ecologie, Systématique et Evolution (ESE) (Université Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech), partagent leur article récemment publié intitulé : Relative importance of exotic species traits in determining invasiveness across levels of establishment : Example of freshwater fish. Elles discutent des caractéristiques qui expliquent les différences dans le succès d’invasion des poissons d’eau douce, des défis liés à la collecte et à l’analyse de données à l’échelle mondiale, ainsi que de leur parcours pour devenir écologues.

Une traduction Anglaise de cet article de blog est disponible ici!

À propos de l’article

L’objectif principal de notre article était d’identifier les caractéristiques qui différencient les poissons exotiques établis dans de nombreux endroits du monde de ceux établis dans des zones très restreintes. En effet, avec l’augmentation des échanges internationaux, de nombreux poissons d’eau douce exotiques ont été introduits partout dans le monde, entrainant des impacts écologiques, sanitaires et économiques dans leur nouvel environnement. Ainsi, comprendre les caractéristiques qui permettent à certaines espèces exotiques de s’établir et d’envahir de nouveaux environnements est une question cruciale. Cette question a déjà été explorée dans la littérature pour plusieurs taxons, que ce soit pour les plantes ou les animaux (par exemple, les mammifères, les oiseaux, les reptiles et les poissons). Cependant, les études précédentes n’ont pas considéré que la réussite d’une invasion peut s’opérer à différents degrés : certaines espèces peuvent se propager largement, parfois dans le monde entier tandis que d’autres se limitent à quelques zones proches de leur aire native. Mais ces espèces sont-elles différentes en termes de comportement ou de morphologie ? Certaines caractéristiques expliquent-elles ces différences dans le degré de succès d’invasion?

Illustration des huit espèces envahissantes de poissons d’eau douce figurant sur la liste des “100 pires espèces exotiques envahissantes au monde” (crédits: Wikimédia Commons)

Dans cet article nous traitons ces questions en évaluant les caractéristiques écologiques, morphologiques et comportementales de 222 espèces de poissons d’eau douce exotiques selon quatre niveaux d’établissement, définis par le nombre de bassins versants et leur localisation. Nous avons constaté que les espèces « super-établies » étaient différentes des espèces établies dans quelques endroits seulement. Les espèces super-établies ont tendance à avoir plusieurs régimes alimentaires et un haut niveau de soins parentaux, tandis que les espèces peu établies ne présentent pas de soins parentaux et sont plus spécialisées en termes de régime alimentaires adoptant principalement un régime zoobenthique (c’est-à-dire comprenant des animaux vivant au fond des lacs et rivières). Nos résultats soulignent l’importance de considérer la variabilité des caractéristiques des espèces dans les évaluations de leur capacité à s’établir et à envahir de nouveaux environnements. Par conséquent, les décideurs et les gestionnaires devraient tenir compte de ces travaux pour développer des stratégies et des politiques pertinentes de contrôle des espèces exotiques, en identifiant les espèces à gérer en priorité.

À propos de la recherche

Les études précédentes classifiaient les espèces exotiques selon deux catégories : celles qui réussissaient à envahir de nouveaux systèmes et celles qui échouaient. Notre étude souligne cependant qu’il est important de tenir compte des nuances existantes dans le succès d’invasion, en considérant différents niveaux d’établissement définis par le nombre de bassins versants et leur localisation. Ainsi, notre étude complète la compréhension actuelle des dynamiques d’invasions et présente une manière innovante d’étudier les facteurs de succès des espèces exotiques. Finalement, être capable d’identifier les caractéristiques qui favorisent les différents niveaux d’établissement aiderait à identifier les espèces les plus envahissantes et donc à prévenir leur introduction potentielle et leurs impacts. Cependant, ce type d’étude n’est pas facile à développer. Nous avons mené cette recherche en collectant des données à partir de bases de données libres d’accès en ligne, à l’échelle mondiale.

Les espèces super-établies (c’est-à-dire les poissons établis dans un grand nombre de bassins au-delà de leur région d’origine) sont caractérisées par un bon hydrodynamisme, une position trophique élevée ainsi qu’un grand corps, ce qui les différencie des autres groupes. Le régime alimentaire et l’amplitude de la température sont essentiels pour expliquer le nombre de bassins d’établissement, tandis que le niveau de soins parentaux est associé à la localisation de l’établissement.

Disposer d’une base de données complète et propre a été la tâche la plus difficile pour pouvoir répondre à notre question de recherche avec une taille d’échantillon adéquate. Par exemple, nous avons décidé de nous concentrer sur 222 espèces de poissons alors que plus de 500 espèces ont une population exotique connue. En effet, les données sur les espèces restantes (environ 300 espèces) n’étaient pas disponibles ou pas suffisantes pour permettre de les inclure dans notre base de données. En conséquence, une piste d’amélioration de ce travail consisterait à collecter davantage de données sur les espèces pour étendre nos résultats à une plus grande partie des poissons exotiques du monde. Une autre piste serait d’explorer des questions de recherche similaires mais avec d’autres taxons, par exemple avec des vertébrés tels que les mammifères et les oiseaux ou avec des invertébrés tels que les insectes et les mollusques. En effet, ces taxons sont également largement transportés et introduits, avec des impacts écologiques considérables sur la biodiversité native. Par conséquent, il serait pertinent de voir si nos résultats sont congruents avec d’autres taxons que les vertébrés d’eau douce. En fin de compte, cela aiderait à élaborer une réponse en matière de conservation adaptée au problème mondial des invasions biologiques qui menacent la biodiversité.

À propos des autrices

Clara Marino (gauche) and Camille Bernery (droite) (crédits : Suzie Derminon)

Camille: J’ai commencé mon doctorat un an avant Clara, avec qui nous avons partagé un bureau pendant deux ans, ainsi qu’une de nos directrices de thèse, Céline Bellard, la dernière auteure de cet article. Au début de mon doctorat, nous souhaitions construire un projet ensemble avec Clara car nous étions (et sommes encore) de bonnes amies avec la motivation de combiner nos compétences dans un projet qui nous motiverait toutes les deux. J’avais des compétences concernant les spécificités du modèle d’étude (les poissons), et je maîtrisais les bases de données sur les caractéristiques des poissons, ainsi que les modèles linéaires généralisés pour l’analyse statistique. De son côté, Clara maîtrisait la construction d’espaces fonctionnels et les analyses statistiques associées, méthodes que je n’avais jamais utilisées auparavant. Céline, une scientifique inspirante pour toutes les deux, était la personne parfaite pour nous superviser ! J’ai maintenant terminé mon doctorat et c’est avec joie j’ai présenté cette étude lors de ma soutenance de thèse. C’est, pour moi, l’exemple parfait d’une coopération réussie en recherche et je suis fière de la partager avec l’une de mes amies proches. Je suis maintenant chercheuse post-doctorante, toujours en écologie de la conservation, mais sur un autre sujet : l’étude des effets des pratiques agricoles sur les réseaux trophiques arthropodes-chauves-souris. Être écologue est l’un des métiers les plus intéressants pour moi. Quand j’étais petite, j’étais en permanence dehors, toujours en train d’essayer de comprendre le comportement des animaux que je voyais. Je me posais beaucoup de questions à leur sujet. Les documentaires ne me suffisaient pas ; je voulais répondre à mes questions moi-même. L’écologie est également un sujet qui intéresse de plus en plus de personnes et la vulgarisation dans ce domaine est l’une de mes principales passions. Il est important pour moi que le grand public entende parler de ce que nous faisons en science et comprenne le monde dans lequel nous vivons, surtout à une époque où les problèmes liés à la perte de biodiversité font les gros titres.

Clara et Camille participant à leur première conférence internationale en ligne durant leur thèse (crédits: Camille Bernery)

Clara: J’entame ma dernière année de doctorat et je travaille sur les conséquences écologiques des espèces exotiques envahissantes sur les vertébrés terrestres, à l’échelle mondiale. Comme l’a dit Camille, ce projet était la parfaite occasion de joindre nos compétences complémentaires tout en prenant plaisir à travailler avec une bonne amie. Ce projet est également un chapitre de ma thèse et je suis très heureuse de défendre ce travail prochainement lors de ma soutenance. Une fois diplômée, je vais démarrer un poste de post-doctorante à Montpellier pendant deux ans, portant sur la vulnérabilité des écosystèmes insulaires. J’ai commencé à étudier l’écologie en 2015, l’année des Accords de Paris (COP21), lorsque beaucoup de gens autour de moi ont commencé à parler des crises environnementales et climatiques. Ce que j’aime dans l’écologie, c’est sa complexité et sa dynamique perpétuelle qui nous empêchent de tout décrire et formaliser en mots et en chiffres. Le monde vivant nous surprendra toujours d’une manière ou d’une autre et cela me fascine. Cependant, je n’aime pas le fait d’être constamment rappelée à quel point les activités humaines dégradent la biodiversité et l’environnement. Après avoir passé toute ma thèse à travailler avec des données et du code sur un ordinateur, je ne peux plus prétendre être une écologiste de terrain et je ne suis malheureusement pas une naturaliste capable d’identifier quelconque être vivant. Pourtant, j’aime beaucoup passer du temps dehors à regarder des paysages variés et profiter de la beauté de la nature tout en faisant du vélo.

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